Questions sur...
Échos à vos questions et commentaires
- #3 Votre réponse à M.F. de Lévis (Québec), bien qu’intéressante, me laisse un peu sur ma faim (…) À mon avis, vous ne faites qu’effleurer le cœur du problème : la nature et la qualité de la formation nécessaire pour survivre au monde d’aujourd’hui. A. T., Lille, France
- Il est vrai que nous sommes aujourd’hui confrontés à une multitude de défis. Peut-être pas si différents en nombre que ceux du temps de nos grands-parents, mais certainement plus largement connus et probablement plus complexes ou plus aigu; du moins à l’échelle d’une population, si ce n’est de l’espèce humaine!
Il est déjà difficile de choisir de bons dirigeants au-delà de l’image fabriquée par les médias, de bien se renseigner à travers le déluge d’information sur les enjeux d’un référendum, d’affronter les nombreux bouleversements sociaux et économiques de la mondialisation, les exigences croissantes du marché du travail (et bien sûr de la formation requise…), le conflit des valeurs ou des religions que favorise la «promiscuité» du Village global. Mais il y a également l’état préoccupant de l’environnement, les pandémies auxquelles nous exposent les moyens de transport actuels, l’iniquité intolérable (et explosive) entre les peuples, les défis voire les dégâts (micros et macros) découlant de l’intégration croissante des économies, les armes de destruction massive (auxquelles s’ajoutent maintenant celles de nature informatique!), les attentats terroristes dans des lieux de rassemblement sans cesse plus nombreux et plus largement fréquentés… Vous avez raison : il y a lieu de s’interroger sur «la formation nécessaire pour survivre au monde d’aujourd’hui».
La «simple» connaissance ne suffit plus; si tant est qu’elle ait déjà suffi!… Il faut nettement davantage. Une tête bien faite, pour reprendre le cliché? Sans doute! Mais quelle tête? Quelle culture? En vue de quelle autonomie? Une tête, oui, mais aussi un jugement, une «sagesse». Et, à l’évidence, une conscience de l’autre, une forme certaine d’altérité… L’autre étant devenu multiple, tout proche et toujours présent. Comment y parvenir? Aussi des repères culturels qui transcendent toute cette diversité… Mais lesquels? Également des valeurs humaines profondes, radicales, à réhabiliter au-dessus des structures, des organisations, des institutions trop puissantes, qui en sont venues à justifier elles-mêmes leur existence et assurer leur pérennité!… L’homme assujetti à la Machine est plus que jamais possible! Orwell!… Encore faut-il réussir à faire consensus sur ces valeurs; et là… Les frontières sont devenues poreuses; les pays, voire les continents, de moins en moins éloignés : les moyens de transports, de communication si faciles, si rapides, si répandus… Par quelles langues, quels langages assurer la communication, devant toute cette diversité des prémisses culturelles, devant tout ce non-dit? Nous sommes tous confrontés aux Quoi-Comment-Pourquoi de tout un chacun!… Autant d’interrogations qui ne peuvent pas manquer de surgir à travers le questionnement sur la dualité connaissance/compétence, surtout en pensant à nos jeunes et à leurs besoins de formation.
Constatons d’ailleurs que cette dualité soulève encore beaucoup de confusion. On confond des objets de niveaux logiques aussi distincts que des clous et des marteaux! Et ce, sur deux plans. Celui de la nature propre de chacune, et celui de leur mode d’apprentissage respectif.
Sur le plan de leur nature, connaissance et compétence sont de niveaux distincts et, jusqu’à un certain point, emboîtés. Reconnaissons en effet que les compétences supposent l’existence sous-jacente de savoirs (de connaissances, donc), mais aussi de savoirs-faire (d’habiletés) et de savoirs-être (d’attitudes, voire de valeurs). La compétence par rapport à la connaissance se situe donc à un niveau logique supérieur : pas seulement distinct, mais plus englobant. L’une suppose l’autre, mais l’inverse n’est pas aussi vrai; bien qu’elle le soit en partie comme nous allons le voir. Les connaissances se présentent donc comme des ingrédients nécessaires à la compétence.
Passons à leur apprentissage maintenant. Que la compétence suppose la connaissance, entraîne-t-il pour autant que l’apprentissage des connaissances doive précéder celui des compétences? Non! Compétence et connaissance se développent jusqu’à un certain point concurremment, mutuellement. C’est là une source majeure de confusion. Mais avant d’aborder ce point, des clarifications s’imposent.
1. Toutes les connaissances ne sont pas équivalentes quant à leur portée, cela va de soi. Comprendre le fonctionnement d’un moteur à explosion pour un technicien automobile, n’a évidemment pas la même portée que celle de connaître le nom, bien qu’utile, de ses composantes : bielle, piston, soupape, etc. Pour assurer sa compétence dans le métier, la première est nettement plus souhaitable que la seconde.
2. Toutes les connaissances n’ont pas même «qualité» : étendue et profondeur. Des connaissances peuvent être acquises seulement à l’état de structures flottantes, comme lorsque l’on dit qu’on a appris quelque chose «par cœur sans vraiment comprendre». Car pour vraiment comprendre, il faut bien plus que la «simple» mémorisation. Il faut pouvoir «situer» cette connaissance : son rôle, sa particularité, ses filiations dans son champ sémantique (univers de mots/idées plus ou moins apparentés). Autrement dit, cette connaissance doit être intégrée à une structure de pensée qui comporte des ramifications multiples avec d’autres objets conceptuels (mots/idées), mais aussi avec des objets des domaines de l’agir et aussi de l’être. Piaget a amplement démontré ces liens entre l’agir et le connaître et, mais à un degré moindre, entre l’agir et l’être…
Quelques exemples. On peut connaître d’un mot ou d’une expression son orthographe ou sa définition, sans être capable pour autant de les intégrer dans un ensemble sémantique cohérent, ni donc d’en faire un usage toujours pertinent et rigoureux. J’ai déjà signalé l’exemple de l’expression «passage à niveau» dont je n’ai découvert la véritable signification qu’à l’âge de 30 ans! On peut aussi connaître par cœur les équations mathématiques servant à calculer le périmètre ou la surface (aire) d’un rectangle, d’un triangle ou d’un cercle, et être incapable de calculer le périmètre ou la surface d’une patinoire de hockey!…
Mais on peut aussi «posséder» véritablement certaines connaissances : l’accent singulier de sa langue maternelle, le détail du quartier de son enfance, l’art de bien recevoir ou les règles et stratégies du poker, etc.
Dans un cas, il s’agit de structures «flottantes»; dans l’autre, à l’autre extrémité du continuum, de connaissances plus profondes et mieux intégrées à une riche structure.
Faisons un test. Inventorions ce que nous savons sur π (pi)… Ensuite, sur notre mère…
Il y a fort à parier que sur π nous n’ayons pas grand-chose à dire, et que nous le fassions surtout de façon cérébrale; à moins que n’y soit rattachée de la frustration ou, à l’opposé, de l’envoûtement devant ce nombre irrationnel associé à la circularité, à la régularité parfaite! Mais dans le cas de notre mère… c’est vraiment autre chose!
L’enracinement d’une quelconque connaissance à une structure peut donc être très variable et la nature de ces liens très différente.3. Nous parlons souvent de connaissances et de compétences comme s’il s’agissait là d’objets bien délimités et achevés; comme on se croit autorisé de le dire du champignon ou de l’arbre… Tout n’est pas si simple! Pour les besoins du quotidien, on peut certes, et sans confusion, parler du champignon sur la table de cuisine ou du grand arbre près de la fenêtre. Mais sur place, dans leur milieu de vie, essayons d’en établir précisément les contours, de bien les distinguer de leur milieu (chacun de son non-lui), d’établir exactement leurs liens avec ce dernier, d’en décrire rigoureusement les caractéristiques ou le comportement… Et encore, ils sont adultes, leur croissance est achevée ou en voie de l’être! Mais lorsqu’ils amorcent seulement leur développement ou, mieux, lorsqu’ils n’en sont qu’à l’état embryonnaire, essayons voir… Il est beaucoup plus difficile de répondre à nos questions. À titre d’exemple, le cotylédon fait-il partie de l’individu ou du milieu? La spore est-elle un individu en potentiel ou seulement une composante nécessaire au milieu pour «exprimer» un champignon? Où commence l’un, où finit l’autre?…
Dans le monde des connaissances ou des compétences, la situation est un peu analogue. À maturité, elles peuvent être assez bien délimitées; mais en pleine croissance ─ à plus forte raison à l’état de gestation : comme chez nos plus jeunes ─ l’entreprise est beaucoup plus hasardeuse. Il s’agit là de structures en croissance dont on devine encore assez mal les contours et les caractéristiques et, on l’oublie trop souvent, on ignore en grande partie les liens qu’elles peuvent entretenir avec l’ensemble des structures préexistantes… qui dans certains cas vont faciliter l’apprentissage, dans d’autres carrément lui nuire. Un ensemble touffu : comportant des liens nombreux, complexes et de diverses natures : sensorielle, conceptuelle, émotionnelle, kinesthésique, itérative, etc. Et ceci vaut pour les connaissances comme pour les compétences! Une métaphore intéressante de chacune d’elles, il me semble, serait celle du champignon dans son milieu avec son mycélium qui diffuse tout autour!…Revenons maintenant à leur acquisition (apprentissage). Traitons uniquement de véritables connaissances et de compétences (par définition, «véritables», puisqu’il ne peut y avoir de compétences, à proprement parler, superficielles!). Oublions donc les connaissances superficielles, à l’état de structures flottantes, qui peuvent ne faire l’objet que d’une «simple» (très limitée) mémorisation.
Cette connaissance véritable se développe, on le sait trop bien, dans et par l’action. C’est en agissant sur quelque chose que l’on découvre ce «quelque chose» ─ ce qu’il est, comment il se comporte, comment il est associé à son environnement, etc. ─ et, simultanément, puisque cette action est produite par quelqu’un, l’individu en question se définit et se découvre davantage à travers cette action. En d’autres mots, il découvre «sur», tout en «devenant» et «se» découvrant! Mais, ce faisant, à mesure qu’il découvre l’objet et «se» découvre, il devient de plus en plus habile à intervenir «sur», et donc amorce ou développe une compétence. À mesure que se développe cette compétence (à intervenir, lui, cet individu particulier, sur de tels objets), il découvre de mieux en mieux «cet» objet : ses particularités, ses rôles, ses liens avec son milieu, etc. Dans le cas d’une connaissance véritable, celle-ci se développe donc en parallèle, concurremment, avec une compétence et, même, diverses autres compétences, de différents ordres.
La question de l’œuf ou de la poule ne se pose donc pas… ni la connaissance, ni la compétence ne se développe en premier. Mais, dira-t-on, il y a bien quelque chose qui amorce ce développement concurrent, non? Bien sûr, mais ce quelque chose est d’un tout autre ordre : le problème, le défi, la surprise, l’obstacle… Qui confronte l’individu : mentalement, émotionnellement, sensoriellement, kinesthésiquement, etc. Ici, ne l’oublions pas, l’individu devient sujet et acteur. Le jeune découvre, se découvre, se forme, apprend, donc. Ce faisant, avec le temps, il apprend à prendre place, à occuper une place dans son milieu, sa place… Il se fait davantage confiance, devient plus réfléchi, plus critique, plus créateur, etc. Il ne fait vraiment pas, donc, que développer des connaissances!…
De là à mon avis l’importance d’une pédagogie par projets comme celle illustrée dans Des sciences à l’école.
Non pas qu’un début de formation scientifique, de compétence en résolution de problèmes, d’esprit critique, de sentiment d’identité, d’appartenance, etc. assureraient la «survie dans notre monde d’aujourd’hui», mais ce serait déjà un premier pas dans une direction prometteuse. D’autres pas, évidemment, sont nécessaires… sur le plan de l’apprentissage de la langue maternelle (pas uniquement celle-ci, bien sûr), sur le plan de la formation mathématique, de l’histoire et de son esprit, des arts en général (la littérature en particulier) et bien sûr de la philosophie : sur les grandes questions humaines que le quotidien ne manque jamais de nous ramener.
Pour répondre aux défis d’aujourd’hui, la maîtrise de la langue maternelle est devenue incontournable. Et sur tous les plans : pour satisfaire les impératifs d’une communication plus riche, plus rigoureuse, plus efficace, mais aussi plus fine et plus subtile. Avec la mondialisation, l’apprentissage d’autres langues est devenu impérieux, mais il aide aussi à mieux maîtriser sa propre langue maternelle, et contribue à sa façon au développement de l’intelligence symbolique. Tout comme la formation scientifique, la formation mathématique est également nécessaire. Non pas tant pour «calculer», ce que font tellement mieux nos calculateurs électroniques, mais pour être en mesure de formaliser des opérations, et même certaines réalités : des états, des événements, des mouvements, des tendances, des transformations… permettant ainsi de mieux saisir l’essence de ces réalités. Il y a aussi, l’histoire et l’historiographie (comment on la «fabrique»); sinon comme dit l’adage, «nous sommes condamnés à la répéter»… et à être plus vulnérable à la manipulation! Les arts également, bien sûr, puisque c’est la nourriture de l’âme : pas seulement pour la distraire, mais pour la soutenir, l’enrichir, l’élever!… J’ai nommé la littérature, en particulier. C’est que la bonne littérature titille l’intelligence, développe la sensibilité et fait vivre des possibles. Ce qui, d’une certaine façon, amplifie et élargit notre trop brève et trop singulière existence, suscite la réflexion et ouvre à des aspects de la réalité qui autrement nous échapperaient… Enfin, la philosophie; et dès 5-6 ans! Si on prend soin d’«écouter» réfléchir tout haut un enfant de cet âge sur les diverses réalités de la vie au quotidien, on est souvent surpris de la teneur de ses propos. Imaginons maintenant qu’il soit systématiquement encouragé à exprimer ses opinions sur de tels sujets, et à les discuter, les confronter, régulièrement avec son entourage… en classe, à la maison. En pareil contexte, nos jeunes n’en finissent pas de nous déconcerter par la profondeur et la justesse de leur propos!… Et, ce faisant, ne l’oublions pas, ils se forment… un esprit, une conscience, une altérité…
Sur tous ces plans donc, quelle que soit la «matière», une intervention (pédagogie) par projets, comme celle adoptée par Des sciences à l’école serait, j’en suis sûr, tout à fait appropriée. Il s’agit dans chacun des cas non pas seulement d’intéresser les jeunes ou de leur faire connaître le domaine en question, mais de les rendre capables de «faire»… De faire de la langue (de là l’importance de s’exprimer abondamment devant l’entourage, en particulier par l’écrit), de faire des mathématiques, de faire de l’histoire, de faire de la philosophie…
Bien au-delà de l’acquisition de connaissances, on entend donc former dès la maternelle nos jeunes à penser, à décider, à agir, à créer, et ce au contact et «avec» d’autres.
© plt
- #2 … Je reconnais dans vos propos les idées de plusieurs grands penseurs de l’éducation : Dewey, Claparède, Decroly, Freinet, Piaget… Mais, c’est la première fois que je vois autant de classes où elles sont visiblement mises en pratique. Merci de ce beau recueil : une belle source d’inspiration. D.M., étudiant FST, U. Paris : Créteil
- Vous avez raison au sujet de ces idées. Ces grands penseurs ont souvent nourri mes réflexions et les ont conforté tout au long de mon cheminement. À votre liste, il faudrait en ajouter encore bien d’autres, et dans des domaines tout autres que ceux que l’on associe habituellement à l’éducation : les théories de l’évolution, la théorie des systèmes, l’écologie, l’histoire des sciences, l’historiographie comme telle, l’histoire de l’art… Bref, des domaines où le changement, la création et la marque de l’homme sont omniprésents. Et, au cœur de toutes ces constructions humaines, l’épistémologie occupe certainement une place centrale et quelques-uns de ses grands penseurs en particulier : Gregory Bateson, Heinz von Foerster et, surtout, Ernst von Glasersfeld, que j’ai malheureusement connu sur le tard, mais qui m’a vivement réconforté et encouragé à poursuivre dans une démarche issue de vieilles intuitions du temps de ma vingtaine…
La seconde partie de votre commentaire laisse apparemment sous-entendre que cette pratique illustrée dans mon ouvrage représenterait une certaine pratique courante dans nos écoles du Québec; ce qui est très éloigné de la réalité. Le Québec, j’en suis sûr, ne se distingue pas vraiment du reste du monde sous ce chapitre : en général, on préconise ici comme ailleurs surtout un enseignement de type «aristotélicien» (centré sur la norme), plutôt que «darwinien» (centré sur l’individu «aux prises» avec son milieu)… comme j’ai tenté de le développer dans la Conclusion de mon ouvrage. Nous sommes aussi très marqués par cette conception de l’efficacité qui privilégie le chemin direct pour atteindre un but ─ d’abord A, puis B, ensuite C,… pour finalement atteindre le X désiré ─, méthode habituellement très efficace dans le cas des réalisations matérielles courantes, mais régulièrement déficiente dans le cas des objets d’apprentissage le moindrement complexe chez l’humain!
Au Québec, comme en France ou aux États-Unis, tout comme sur les continents asiatique, africain ou sud-américain, rares sinon très rares demeurent les classes animées par des enseignants d’esprit «darwinien», qui songent d’abord à construire un «milieu d’apprentissage» où les élèves sont «confrontés» à des situations à la fois stimulantes et qui les mettent véritablement au défi. Où ils ont à dépasser quelque peu leur «déjà connu» en explorant des avenues qu’ils ont eux-mêmes inventées et confrontées entre eux, puis mises à l’épreuve de la réalité afin d’en venir, collectivement, à statuer sur leur validité… une validité actuelle, et souvent temporaire, compte tenu de l’état présent de leur expérience et de leurs connaissances.
Vous seriez en droit de rétorquer : Mais pourquoi n’y en a-t-il pas davantage de ces enseignants? La même question pouvait se posée jadis à la suite de la publication des idées magistrales élaborées par les grands penseurs auxquels vous avez fait allusion… Pourquoi en effet, en sommes-nous au même point, ou presque?
Oh là!, diront certains, vous oubliez que c’est avec cet enseignement traditionnel, que vous appelez «aristotélicien», que bon nombre d’entre nous ont pu compléter des études supérieures et jouir d’une position enviable dans la société, voire qui sont devenus des chefs de file dans leur domaine! Exact; mais à quel prix bien souvent? Où sont passés dans leur cas leur inventivité, leur jugement personnel, leur capacité à penser hors des sentiers battus? Et ces chefs de file dont vous parlez, êtes-vous bien sûr, qu’ils soient vraiment le fruit de leur scolarisation? Au moins pour certains d’entre eux, peut-être la majorité même, l’«école» n’a-t-elle pas été qu’un passage obligé? Leur véritable formation, ne sont-ils pas allés la chercher ailleurs, en dehors de l’école? Dans des projets «para» scolaires de toutes sortes? Plusieurs d’entre eux, n’ont-ils pas été des «délinquants scolaires», des «marginaux scolaires» qui, au mieux, pouvaient voir le «scolaire» comme un magasin général où ils pouvaient puiser quelques idées pour alimenter leurs propres projets, ou, au pire, un détour inévitable en attente de l’âge adulte!
Par ailleurs, quand en pense à la totalité de ceux qui ont traversé cette période, combien cette école «aristotélicienne» a-t-elle engendré d’éclopés?
Mais revenons à la question initiale. Pourquoi est-ce encore ainsi, malgré tous les efforts déployés par des milliers de gens (penseurs, médecins, psychologues, enseignants et certainement tous les grands créateurs de ce monde) au fil des ans, ce dernier siècle et demi, et ce malgré combien de réformes des programmes scolaires?
Outre la sempiternelle lourdeur administrative, il y a bien sûr la lourdeur du quotidien de l’enseignant qui, un peu partout j’imagine sur la planète, ne cesse d’augmenter — les parents d’élèves débordés ou incompétents qui abdiquent, les conditions socio-économiques difficiles, les jeux et autres distractions électroniques, l’augmentation des «troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité» (TDAH; victimes de la pollution alimentaire?), le resserrement des budgets scolaires qui entraînent la diminution des services complémentaires à l’élève, le chambardement des valeurs, la violence physique ou psychologique faite aux enfants, etc.
Mais, reconnaissons-le, il n’y a pas que des facteurs «externes», il y a aussi le besoin exacerbé de tout contrôler chez certains intervenants (enseignants, parents ou autres) qui, comme bien d’autres gens en autorité, ne peuvent tolérer l’imprévisible; par crainte du chaos, semble-t-il. Chaos «devant» soi, bien sûr, mais peut-être aussi, surtout?, «en» soi. Peur de «perdre ses moyens», voire de «perdre la tête»… Cette crainte peut aisément mobiliser des mécanismes de défense qui, dans bien des cas, inclinent à l’hyper contrôle de la situation Il y a hyper contrôle d’une situation lorsqu’on se croit obligé de tout organiser, de tout prévoir : le rythme d’apprentissage, le comportement de chacun, les outils et «algorithmes» d’apprentissage… On impose, on redresse, on menace au besoin, on fixe un cadre strict, qui peut aisément devenir un carcan. La pédagogie traditionnelle (de type aristotélicien) répond largement à ce désir de contrôle : on vise constamment la norme.
L’insécurité personnelle est très répandue, et ne se révèle pleinement bien souvent qu’en situation d’autorité! Que faire alors? Suggérer une thérapie d’appoint à tous les enseignants, à tous les intervenants, y compris les parents? Irréaliste, évidemment… D’autant plus qu’il y a fort à parier que les plus concernés n’en verraient même pas la nécessité! L’imposer alors! Impossible. Ce serait non seulement indéfendable au plan éthique (les psychologues thérapeutes n’y sont même pas soumis eux-mêmes!…), mais encore éminemment contre-productif : on ne peut pas plus imposer la spontanéité que l’apprentissage profond… Il ne faut donc pas l’imposer, l’offrir seulement. Mais encore faudrait-il que les psychologues thérapeutes engagés à cet effet, parviennent à mettre au point des stratégies de thérapie de groupe (c’est la seule piste viable financièrement), des stratégies donc, qui soient à la fois efficaces, sans devenir trop anxiogènes pour certains participants — je pense ici aux gens chez qui le besoin de tout contrôler est exacerbé…
Trop d’insécurité est sans doute un problème… pour la personne elle-même bien sûr, mais aussi pour la société, mais pas nécessairement pour les enfants! J’ai connu, en effet, plusieurs enseignants qui souffraient d’insécurité personnelle (d’anxiété) excessive ─ perçue à vue de nez ou confirmée par des tests ─ et qui, était-ce justement à cause de leur insécurité?, étaient d’excellents enseignants, y compris en pédagogie nouvelle (voire carrément «darwinienne»)! Alors, l’insécurité excessive, sans en éliminer son influence, n’est peut-être pas une si bonne explication tout compte fait. Cherchons ailleurs.
Il y a à mon avis une autre explication, d’un tout autre ordre, et qu’on est loin encore d’avoir résolue : Comment à la fois tenir compte, d’une part, de la nature de l’apprentissage humain «véritable» (et non pas seulement superficiel, ou «par cœur») qui nécessite selon moi une approche darwinienne et, d’autre part, de la nécessité de «former» et de «diplômer», et en quelques années seulement, des enseignants compétents en pédagogie «nouvelle»; alors que chacun, une large majorité du moins, a été formé par la pédagogie «traditionnelle»? Celle, justement, tant décriée par ces grands penseurs que vous citez?
Entendons-nous d’abord, si cela est encore nécessaire, sur la signification de cet apprentissage humain «véritable», ou profond. C’est celui qui permettra à l’individu d’agir (concrètement et/ou mentalement) de tout son être et de façon bien adaptée à cette situation qui sollicite son action; qui donc peut agir et penser autrement qu’en suivant des «recettes» stéréotypées.
De tout son être, c’est-à-dire intuitivement (perception globale), intellectuellement (établissement de liens), émotionnellement (participation du cerveau limbique), «imaginativement» (simulation mentale) ainsi que, si le geste est concret, aux plans sensoriel et moteur. Un geste, par ailleurs, bien adapté à la situation, en ce sens que l’individu dispose d’une perception suffisamment fine de la situation et, aussi, d’une souplesse intellectuelle telle qu’il pourra modifier son geste au gré des caractéristiques particulières ou changeantes de cette situation. On a, en pareille occasion, le sentiment intime d’être en «pleine possession de ses moyens», de «faire corps» avec la situation. À l’opposé, l’apprentissage sera superficiel si l’individu n’est en mesure que d’appliquer une solution préconçue, une «recette», à une situation par ailleurs essentiellement perçue dans ses caractères généraux uniquement, et sans être véritablement en mesure de mobiliser l’ensemble de ses facultés. Du premier, on dira qu’il a développé des compétences certaines en regard de ce genre de situations; du second, on dira plutôt, au mieux, qu’il peut être un bon exécutant en face de situation «standards» de cette espèce.
Une autre question se pose alors. Comment favoriser cette qualité d’apprentissage dans le cas d’un enseignant (futur ou actuel) qu’on souhaite «former» aux pédagogies nouvelles? Notez, j’ai bien dit qu’on souhaite et non pas «qui» souhaite, sincèrement, intimement… La différence est sans doute essentielle… Former, donc, aux pédagogies nouvelles, parce que c’est bien ce niveau d’apprentissage, profond, «véritable», qui est nécessaire à l’exercice des pédagogies nouvelles… qui exige de l’intervenant, la spontanéité, la fluidité du «geste» (sans à-coups), l’harmonie, l’intégration… sinon, cet intervenant «sonnera» faux, et les élèves le percevront et ne s’engageront pas, à leur tour, «profondément».
Nous connaissons déjà la condition première à la réalisation de cet apprentissage profond : un problème qui engage l’individu, profondément (de tout son être), en direction de l’objet de cet apprentissage. Qui l’engage dans tout son être (intellectuellement, émotionnellement,…) et qui mobilise ses diverses facultés : intelligence, intuition, imagination, connaissances, attitudes, mémoires de toutes sortes…
Comment, maintenant, y parvenir dans le cas qui nous concerne? Voilà LA question.
La seule piste véritablement prometteuse à mes yeux, et de loin la plus difficile probablement à appliquer : accompagner l’enseignant, ou le futur enseignant, dans l’exploration de sa propre histoire personnelle en matière d’expériences d’apprentissage. Qu’est-ce à dire? Sans aller aussi profondément — et c’est ce qui peut rendre la chose si difficile —, je crois qu’il y a certaines similitudes entre cette exploration et celle d’une thérapie en psychologie… Puisqu’il s’agit dans les deux cas de faire remonter à la conscience des expériences qui se sont déroulées «en arrière-plan» de celle-ci.
Bien sûr, dans les deux cas, des événements conscients ont été vécus (heureux, malheureux, accompagnés de joie, de crainte, etc.), mais dont une grande partie, non seulement a échappé à la conscience, mais s’est accumulée dans le temps (un temps cumulatif : historique donc), parfois lors d’événements marquants, mais nettement plus souvent par l’enchaînement d’événements bénins, insignifiants, au quotidien. De proche en proche, petit à petit, notre carrière d’apprenant se construit… Toujours ou presque en arrière plan, au fil des réussites autant que des échecs. Pour former à la longue un profil, un «patron» (pattern) d’apprenant. On sait tous en effet que, dans une situation donnée, nous nous «positionnons» en tant qu’apprenant : «Je suis à l’aise dans ce genre de situations», «J’en perds mes moyens dans tel autre», «Ce n’est pas un si gros obstacle, je vais y arriver», «Je n’ai jamais réussi en pareil cas, je ne m’y aventurerai certainement pas!», etc.
Un atout, l’introspection. Certains ont l’introspection développée, d’autres beaucoup moins. Ceux chez qui elle est développée auront l’avantage de se brancher plus aisément à l’expérience intérieure. Mais cette expérience n’est pas pour autant toujours facile. C’est bien là le problème. Plus l’effet «psychologique» de ses propres expériences est douloureux, plus en général elles seront enfouies et, donc, difficiles d’accès. Or, ces expériences marquantes étant, justement, «marquantes», il faut alors les ramener à la surface, pour amoindrir leur caractère néfaste, le cas échéant, ou s’en servir, s’il s’agit d’expériences positives. Cela est vrai pour la vie intime et vrai également pour la vie cognitive, qui d’ailleurs constitue forcément une dimension primordiale de cette vie intime; cette dernière s’étant construite «par» l’apprentissage et en cours d’apprentissage, cela va de soi, de cette faculté d’apprentissage justement, donc au fur et à mesure de son développement. On apprend et, simultanément, on apprend à apprendre. C’est ainsi d’ailleurs qu’on peut également apprendre à ne pas vouloir apprendre dans certains domaines, à s’en sentir incapable, voire à douter de sa capacité même d’apprendre! L’histoire cognitive de chacun est en effet complexe. À un moment donné de son histoire cognitive, les mécanismes de défense, devant certains objets d’apprentissage, sont parfois prompts à s’éveiller; devant d’autres, ils peuvent être inexistants. C’est ce qui fait que chacun ait sa façon d’apprendre selon la nature de l’objet d’apprentissage en cause. Le problème, en tant qu’intervenant, est que ce profil ou «patron» personnel d’apprentissage chez l’autre nous est largement inconnu. Et, donc, qu’en tant qu’intervenant, on peut mettre longtemps à le découvrir. À plus forte raison, dans les cas plus problématiques où des expériences d’apprentissage passées peuvent avoir été si traumatisantes, que la capacité d’apprendre s’en trouve altérée, rendant même difficile le moindre apprentissage «scolaire», un défi quasi insurmontable. Les enseignants d’expérience ne le savent que trop bien! À l’autre extrême, certaines gens, dans les domaines habituels du quotidien du moins, ne perçoivent jamais vraiment d’obstacles devant l’apprentissage! Pour ceux-là, les domaines «faciles» d’apprentissage sont très nombreux. Pas étonnant qu’il puisse y avoir autant de diversité chez les apprenants à l’intérieur d’une classe ou même d’une famille!
Revenons à nos enseignants, en formation ou en exercice, qu’on entend «former» aux pédagogies nouvelles.
Il va de soi que le futur enseignant ou l’enseignant en exercice qui désire devenir compétent en pédagogie «nouvelle», soit au courant qu’on a aménagé pour lui un programme de formation qui vise explicitement à le former aux pédagogies nouvelles, y compris aux approches délibérément darwiniennes. Ainsi, seuls les volontaires seront inscrits. (Restera à faire connaître ce programme et à le rendre hautement convoité…) Supposons par ailleurs qu’une équipe de formateurs se concertent étroitement pour harmoniser leurs diverses interventions : cela s’est déjà réalisé à l’Université Lavai dans le cadre du défunt «Projet Pilote». Un élément essentiel peut alors être conçu et mis en place : un milieu d’apprentissage d’esprit darwinien. Un milieu où une foule de projets d’apprentissage pourront être offerts aux étudiants afin qu’ils vivent, parfois seuls, parfois en petits groupes, mais toujours accompagnés d’un tuteur-animateur et soumis à l’obligation de participer à des périodes régulières d’objectivation collectives ; qu’ils vivent donc, d’authentiques expériences d’apprentissage au contact de la réalité. Une réalité concrète à dimensions multiples, suivant leurs besoins de formation : le «fonctionnement» (intellectuel, intuitif, psychologique, social, sensori-moteur) de la clientèle visée, les phénomènes physiques, mathématiques, historiques, etc. à la base des différents contenus scolaires, les phénomènes liés au travail en équipe à l’intérieur d’un milieu scolaire, les phénomènes d’apprentissage face à différents objets d’apprentissage (les leurs en premier lieu et ceux des autres), etc. L’équipe de formateurs devra donc inventorier ─ au préalable et aussi, régulièrement par la suite ─ l’ensemble des volets de la formation nécessaires à un tel intervenant et, bien sûr, concevoir (de concert avec les étudiants) des projets pour satisfaire ceux-ci.
En fait, il s’agit de FAIRE VIVRE l’équivalent de ce qui est préconisé pour les enfants dans une classe à pédagogie nouvelle, et de le faire, cette fois, dans le but de former ces «nouveaux» enseignants. Et, tout au long de leur formation, ces étudiants seront appelés à faire en groupes de l’introspection pour identifier tant leurs forces que leurs faiblesses ou blocages, et les moyens d’y pallier le cas échéant, toujours avec l’aide de leurs pairs. On analysera donc régulièrement ce qu’on tire comme connaissances des expériences vécues et, en parallèle, on «méta-analysera» son cheminement cognitif!
Parallèlement à ce travail «sur le terrain», certains cours très ciblés seront offerts : des cours respectant et tenant compte de l’expérience vécue sur le terrain; ce qui bien évidemment exige un effort de concertation non négligeable… À l’équipe des formateurs de préciser ces cours. J’imagine déjà qu’une étude de la pensée de certains grands penseurs de l’éducation sera au programme…
© plt
- #1 Dans votre ouvrage, vous semblez avoir pris vos distances face au stérile débat connaissances/compétences, et c'est tant mieux. Félicitations! M.F., Lévis, Québec
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Débat stérile en effet, si l’on reconnaît que l’un ne va pas sans l’autre… lorsqu’une personne tire véritablement profit d’un enseignement. À quoi serviraient, en effet, des connaissances qui ne seraient d’aucun secours dans la vie courante? Ni pour comprendre ce qui s’y passe tout autour ou en soi, ni pour agir plus efficacement devant un problème, ni pour nourrir l’âme, ni pour distinguer le vrai du faux… D’autant plus qu’aujourd’hui, pour peu qu’on sache s’y prendre, en un clin d’œil ou presque, on peut avoir accès à l’information. Il faut de plus reconnaître que le développement de compétences véritables est impossible, loin s’en faut, sans qu’au passage des connaissances profondément enracinées (et non pas seulement apprises «par cœur») ne se développent.
S’il est possible jusqu’à un certain point d’acquérir des connaissances sans développer de réelles compétences en parallèle, l’inverse, lui, n’est certainement pas vrai. On peut d’ailleurs questionner la valeur des connaissances acquises en l’absence de compétences!
La formation est nettement supérieure au simple cumul d’informations, en autant bien sûr que l’on sache que l’information existe, et où la trouver au besoin…
On dira, avec raison, qu’on doit posséder certaines informations de base (de solides «repères») pour être en mesure de comprendre et d’agir avec pertinence et efficacité devant une situation qui pose problème. Ceci est indubitable. Mais, à l’opposé, charger indûment la mémoire d’objets hétéroclites est futile, voire dangereux. Une tête pleine ne vaudra jamais une tête bien faite, énonce avec raison l’adage. Sans formation digne de ce nom, l’instruction ne mène qu’à l’«instruisance»! De même qu’une puissante automobile sans cerveau pour la diriger ou qu’une intelligence sans jugement, l’instruction peut facilement conduire aux pires bêtises… Bush fils, en tant que président des États-Unis, en a été un bel exemple, et notre Harper actuel au Canada n’apparaît guère mieux!…
Mais revenons à nos moutons. On rétorquera, avec raison encore, que plusieurs parmi nous ont su acquérir une formation enviable alors que prévalait à l’époque une pédagogie traditionnelle abusivement centrée sur la «distribution» de connaissances. On oublie cependant deux éléments importants dans ce constat.
1. La très grande majorité de nos compagnons et compagnes de classe ont été largement desservis par cette pédagogie : à preuve, bien que ce ne soit pas le seul facteur en cause, le nombre d’élèves (ou d’étudiants) qui ne cessait de décroître au fil des ans et, surtout, des cycles scolaires… Encore aujourd’hui, près de la moitié de nos élèves quittent l’école sans même un diplôme de niveau secondaire; à l’âge de 20 ans, malgré l’Éducation aux adultes, ils sont encore près du tiers !… Songeons aux coûts sociaux faramineux qu’entraîne une telle déperdition…
2. En plus, et surtout, on oublie que les gens devenus les plus compétents dans leur domaine, c’est-à-dire ceux capables d’aller bien au-delà de l’application de «recettes» et qui font preuve de la plus grande ingéniosité et de la plus grande intelligence du métier ou de la profession, sont ceux qui, au temps de leurs études, cherchaient constamment à «comprendre» (et non pas seulement à «mémoriser la matière»), ceux qui SE posaient le plus de questions, ceux qui cherchaient régulièrement à «voir» au-delà de la matière exposée… Donc ceux qui, à toutes fins utiles, appliquaient déjà pour eux-mêmes, sans s’en rendre compte sans doute, une «pédagogie de la compétence»!
Dans ce grand débat connaissances/compétences, il y a malheureusement beaucoup de verbiage et de confusion, et l’expression «compétences transversales», malgré sa justesse, ne vient certainement pas simplifier le débat : la justesse et l’opportunité peuvent parfois s’opposer littéralement lorsque l’on prend en compte le public visé ou la clarté du message.
Plutôt que d’utiliser un charabia perçu comme ésotérique par une large couche de la population, je suis convaincu que si l’on avait fait usage du simple langage courant pour exprimer les intentions des divers programmes d’enseignement, une grande part du débat n’aurait jamais eu lieu. Si on avait écrit, pour ne prendre que ce petit exemple, que l’objectif (le but, si on préfère) est de rendre l’élève capable de s’exprimer clairement et correctement à l’écrit et à l’oral dans sa langue maternelle, je suis sûr que la totalité des gens (parents, enseignants, etc.) aurait acquiescé… ou, même, fait l’apologie de cette réforme!
Un autre problème se pose devant la promotion des compétences. Celui, et non le moindre, de l’évaluation. Sachant que celle-ci dicte, de façon appréciable, tant l’intervention pédagogique de l’enseignant que le comportement des élèves, il fallait dès la publication des nouveaux programmes être en mesure de répondre à cette épineuse question. Comment, en effet, allait-on pouvoir évaluer ces compétences? Surtout lorsque l’on a été éduqué soi-même et, même en tant qu’enseignant, formé pour ainsi dire à évaluer presque exclusivement des «connaissances»…
Cette lacune majeure explique, elle aussi à mon sens, une bonne part des ratés de cette réforme. Car, l’évaluation des compétences ne se fait vraiment pas dans le même esprit ni avec la même facilité que celle qui porte sur les connaissances. C’est surtout à voir à l’œuvre les élèves ou les étudiants que l’enseignant ou le professeur est en mesure d’apprécier leurs compétences. Or là on ouvre, selon certains, et ils n’ont pas entièrement tort, la porte à l’arbitraire, aux jérémiades et aux contestations… Et cela soulève, naturellement, d’énormes réticences… Le Ministère et les professeurs d’universités responsables de la formation des maîtres n’ont pas été en mesure de répondre adéquatement à ces besoins éminemment légitimes des enseignants, du moins pas assez rapidement, et sans doute insuffisamment.
Pour terminer, quand je suis en manque d’optimisme, j’ai l’impression qu’à moins de l’apparition de personnes exceptionnellement tenaces et charismatiques, les positions des parents, des enseignants, des syndicats (qui se prennent à tort pour des Corporations!…), des dirigeants des commissions scolaires ou du Ministère ne vont que continuer à se radicaliser, à un point tel, j’en ai bien peur, qu’on en vienne à «jeter le bébé avec l’eau du bain»… Et qu’on retournera, une fois encore sous de nouveaux vocables, à cette «bonne vieille pédagogie centrée sur les connaissances» qui, évoquant pour principal argument certains, aurait «fait amplement ses preuves dans le passé»!…
Dommage alors pour ces générations futures qui devront dorénavant affronter les plus compétents, non plus seulement de leur entourage immédiat, comme par le passé, mais bien, d’ores et déjà, d’ailleurs, du grand village global que devient notre planète…
© plt