Échos à vos questions et commentaires

#6 Avec cette pédagogie, on coupe jusqu’à un certain point l’herbe sous le pied des tenants de l’effort dans l’apprentissage ou qui opposent le jeu (ou le plaisir) à l’apprentissage. Et c’est tant mieux! Non pas qu’il faille abandonner l’effort (et donc son développement) ou qu’il faille toujours rechercher le jeu ou le plaisir. Mais à trop miser sur l’effort ou à trop insister sur le «sérieux» de l’apprentissage, on finit par démobiliser nos jeunes; ce qui se produit hélas trop souvent. Il faut plutôt rechercher un juste équilibre. Votre pédagogie m’apparaît précisément ce bon compromis. A.Y.-D., parent, Sudbury (Ontario).
Je partage évidemment votre position. Mais, il faut reconnaître que ce «juste» équilibre n’est pas toujours facile à atteindre. Sans nier que certains enseignants pourraient avantageusement revoir leurs principes d’intervention, il ne faut pourtant pas trop rapidement juger. La situation d’un enseignant est rarement simple.

Quand on se voit confier des jeunes en début d’année scolaire, on hérite de chacun sa spécificité, son histoire personnelle et scolaire, sa culture familiale… Le menu qu’on leur présente doit bien sûr être assez souple et varié pour rejoindre chacun, mais il y a des situations où cela relève du tour de force. Imaginons ces 25 ou 30 jeunes tous plus ou moins différents; certains plus, même nettement plus, différents que d’autres… Or, l’enseignant est généralement seul dans sa classe… Seul à devoir tenter d’aider et suivre chacun, alors que quelques-uns, souvent simultanément, requièrent toute son attention : problème de comportement, de maturité, de retard scolaire, de désordre mental; pendant qu’un autre, particulièrement doué, exige toujours davantage! Imaginons encore que notre enseignant constate que le ou les deux parents de l’un d’eux non seulement ne soutiennent pas son travail, mais le dénigrent! Imaginons encore que cet enseignant ne reçoive que très peu de support de la direction de son école ou que ─ ce qui est plus fréquent ─ les trop rares aides pédagogiques (TES, orthopédagogues, psychologues scolaires, travailleurs sociaux) sont débordées et ne disposent donc que de trop peu de temps pour intervenir. Imaginons enfin que le milieu de travail de l’enseignant soit perturbé par des guéguerres intestines…

Bien sûr, cette description n’est pas celle de tous les enseignants ni celle que rencontre d’une année à l’autre chaque enseignant, mais personne, aucun enseignant, n’en peut être épargné au cours de sa carrière. Certains gagnent d’ailleurs plus souvent que d’autres à cette loterie!… Alors, ne jugeons pas trop vite; il est souvent facile d’être submergé.

Bien sûr, certaines pédagogies, comme certaines cultures d’école, peuvent tempérer la situation. Mais, la vie est devenue si complexe qu’il serait angélique de croire que l’enseignant est «maître d’œuvre» unique dans sa classe; toutes sortes d’influences interviennent. Reconnaissons, bien sûr, que certains s’en sortent mieux que d’autres en période difficile. Mais la profession enseignante n’est jamais de tout repos. En présence des élèves, l’intégralité de la personne qu’est l’enseignant est sollicitée, et à tous instants! Les parents le savent d’expérience… et ils n’en ont pas 25 ou 30 simultanément!

Ceci dit, pour mobiliser l’ensemble des ressources du jeune dans ses divers apprentissages, on doit réussir à l’engager «personnellement» et «émotionnellement». Il va donc de soi que la motivation intrinsèque est à privilégier. Pour y parvenir, la recherche constante des conditions facilitantes devient essentielle : une saine communication avec chacun, un climat de classe accueillant et respectueux des uns et des autres, une richesse d’interactions élève/élève et élève/enseignant (notamment au moyen des questions-outils), une diversité des projets possibles, une multiplicité de «déclencheurs», une accessibilité au matériel de base et un suivi rigoureux de chacun. En soi, déjà, tout un programme! Il ne faut donc pas se surprendre qu’avec certains groupes d’élèves, la tâche devienne plutôt ardue… Même si la mise en place de ces conditions est essentielle à la réussite d’un maximum d’élèves, il n’est pas toujours étonnant qu’en contextes difficiles des enseignants recourent à certains expédients pour stimuler les élèves. Et ce, quelle que soit la pédagogie normalement adoptée : par projets ou autres.

Il est bien sûr normal qu’on exige beaucoup des enseignants; puisque, avec les parents, ils contribuent directement au succès des jeunes et par ricochet à assurer la pérennité de notre société. Mais, en contrepartie, il n’est pas normal qu’on ne les appuie pas davantage. Notamment en améliorant leur encadrement et la disponibilité des aides pédagogiques aux élèves en difficultés. Il est souvent avantageux ─ pour tous ─ d’intégrer des élèves à besoins spéciaux aux classes dites normales. Mais pas toujours et, le cas échéant, faut-il encore y adjoindre les ressources nécessaires; ce qui est loin d’être toujours le cas…

Il est toujours souhaitable pour une société d’exiger les plus hauts standards chez ses enseignants, encore faut-il prendre les moyens pour y arriver : lors de leur formation, ensuite quand ils sont en exercice par un encadrement adéquat. Mais ce n’est pas tout. Il faut aussi mettre fin aux campagnes de dénigrement et valoriser davantage ces enseignants, notamment en revoyant à la hausse leur rémunération! Sujet délicat s’il en est en temps d’austérité, bien sûr. Mais ce n’est pas tout, il faut également améliorer davantage celle des plus compétents : ceux qui font des «miracles» avec leurs élèves, particulièrement les plus difficiles.

Comment, dira-t-on, évaluer ─ avec justice, équité et discernement ─ cette «compétence enseignante» sans entraîner d’effets pervers? Question, certes complexe et difficile, mais on ne peut l’éviter si l’on désire vraiment assurer et maintenir de hauts standards. Il faut d’ailleurs être en mesure de reconnaître et récompenser la plus grande compétence de certains enseignants. Tout un chacun a besoin, à l’occasion, d’une «tape sur l’épaule» pour l’inciter à progresser ou à poursuivre : il s’agit là d’un écho non négligeable à son engagement. Par ricochet, les jeunes en bénéficieront directement; la société tout entière également. En favorisant l’accroissement des compétences enseignantes, non seulement nos futurs citoyens seront mieux formés, mais on réduira à la longue les «méfaits scolaires» et du coup les coûts énormes qu’ils entraînent : la demande de services scolaires de remédiation (ortho, psycho…), le décrochage scolaire, la scolarisation indûment prolongée, la faible employabilité, les services sociaux, la réduction du PIB…

Évidemment, certains syndicats s’opposeront d’emblée à cette évaluation, mais les plus sérieux se rendront compte que c’est là que réside une part importante de leur crédibilité auprès des leurs et aux yeux de la population. On répondra, certes, que c’est là davantage le rôle d’un ordre professionnel, d’une «corporation». Peut-être. Mais ce n’est pas encore suffisant. Ce devrait être le projet conjoint de nos syndicats, de nos ordres professionnels (s’ils n’existent pas, il faut les créer!), de nos experts universitaires et du représentant de la société qu’est notre gouvernement (sinon, nos divers paliers de gouvernement).

Je ne suis pas expert du domaine de l’évaluation, mais j’ai la conviction qu’ici et là il existe des gens de bonne foi compétents en la matière. Il y a d’ailleurs sans doute plusieurs endroits de par le monde où la question a été explorée… Pourquoi ne pas s’en inspirer?

Le plus grand obstacle m’apparaît d’abord celui d’une volonté politique partagée…

© plt

#5 (…) The results of the scientific research and the experience of teaching/learning, shows to us that the involvement of the emotional world of the pupil in the learning process, as well as the desire to reach a personal objective, are necessary elements for the successful realization of this process. It is well known that during a game, the participants are very motivated to win and enjoy playing. So, we can try to use this motivation to stimulate the pupils during the teaching/learning process. (…) E.P., Sofia, Bulgaria
Je partage entièrement cette position sur l’importance — trop souvent négligée, malheureusement — du monde émotionnel en contexte d’apprentissage. À l’évidence, la Raison, l’Intuition et l’Émotion constituent le triptyque incontournable sur lequel reposent tant l’apprentissage individuel que l’apprentissage collectif, dont la recherche scientifique constitue certainement l’un des meilleurs exemples. Si l’un ou l’autre de ces trois composantes ne contribue pas adéquatement à l’opération, la qualité de l’apprentissage en souffrira : en profondeur, richesse ou étendue.

Vous laissez entendre, plus loin dans votre commentaire, que vos travaux concernent les jeunes à l’adolescence. Les miens, par choix (et sans doute aussi par facilité), concernent plutôt les enfants et les pré-adolescents (les 5 à 12 ans). Il ne faudrait donc pas extrapoler trop rapidement mes travaux au-delà de 12 ans…

Je suis sûr en effet que les défis que posent la puberté et la recherche d’identité person­nelle constituent des facteurs lourds à considérer lors de la conception de stratégies pédagogiques destinées à cette clientèle. Il en est également de même pour les facteurs que sont la culture ambiante et le milieu social d’appartenance : ils semblent plus déterminants à l’adolescence qu’à un âge moins avancé. Je sais par ailleurs d’expérience que la complicité élève/enseignant toujours indispensable est, à cet âge, plus exigeante et donc plus difficile à instaurer. Enfin, il est plus difficile à cet âge de réactiver (lors­qu’elle a été émoussée par l’environnement, surtout scolaire!) la «flamme» de la curiosité et de la confiance en soi, particulièrement en ses propres capacités intellectuelles, que chez des plus jeunes. Autant de raisons de demeurer très circonspect avant de vouloir extrapoler chez les adolescents ce qui a pu être fait chez les 5 à 12 ans…

Ceci dit, permettez un autre commentaire sur ce que vous écrivez.

Vous remarquerez tout au long des pages de Des sciences à l’école, qu’il n’est à peu près jamais question de compétition («games») entre les élèves. Et c’est voulu! Car la compétition (le désir de gagner, ou du moins de ne pas perdre) peut facilement prendre le pas sur la véritable curiosité envers l’objet d’exploration (d’apprentissage), cette «motivation à connaître» et, aussi, d’y parvenir par soi-même (ou à réussir à découvrir par soi-même) : le fameux «Je suis capable!»… Il faut se rappeler que cette curiosité et cette confiance en soi devant l’objet en question demeurent long­temps, sinon toujours, fragiles; la crainte de perdre la face, à plus forte raison celle d’être ridiculisé, peuvent rapidement les faire disparaître…

C’est là à mon sens le principal défi de l’enseignant : comment stimuler, ET entretenir!, de telles motivations de 3e type (selon la typologie des besoins de Abraham Maslow)? La compétition étant d’un niveau inférieur, de 2e type, elle ne conduit pas directement, ni nécessairement, à l’apprentis­sage souhaité. En contexte de compétition, l’apprentissage le plus substantiel risque fort de se trouver du côté de la «capacité à gagner» ou de l’attitude du «gagnant à tout prix»…

Toujours dans la même veine, tout au long de l’ouvrage Des sciences à l’école, vous constaterez que le questionnement à l’égard de l’objet de l’apprentissage visé vient toujours ou presque de l’élève lui-même. L’enseignant, pour l’essentiel, n’est là que pour aider et accompagner cet élève à trouver des «pistes de solution» (anticipations, voire hypothèses) et des «moyens» (ou procédures) de répondre convenablement à «ses» questions à lui, l’apprenant, et non à celles posées par l’enseignant (l’intervenant).

Ainsi l’intervenant a deux tâches bien distinctes dans le temps : l’une en amont, l’autre en aval.

En amont, c’est lui qui crée un environnement et une ambiance de classe qui soient, pour ces élèves (tels qu’ils sont, eux et chacun d’eux, et dans leur milieu propre), à la fois riches et stimulants. Riches d’occa­sions de susciter l’intérêt et le questionnement chez chacun et stimulants en ce sens qu’ils offrent à ce dernier les conditions (occasions et moyens) de satisfaire son désir de connaître ou/et de réaliser son projet (ou leur projet, s’ils travaillent en groupes).

En aval, le rôle de l’intervenant est plutôt celui d’un «accompagnateur complice» qui sait adéqua­tement «confronter» l’élève à ses propres capacités : «Toi, qu’est-ce que tu en penses?», «Comment faire pour voir si elle «marche» ton idée?», «Qu’est-ce qui te fait dire cela?», etc. Bref, en faisant un usage judicieux des questions-outils. En fait, en aval, il joue le rôle du «vrai» pédagogue, au sens étymologique du terme de «celui qui tend la main». Il est l’expert des «questions-outils», comme je me plais à nommer ce genre de questions qui s’adressent directement à l’intelligence.

© plt

#4 Bravo! Je n'ai pas encore tout lu, mais je n'y manquerai pas; votre pédagogie m'apparaît un antidote au fléau qu'est le décrochage scolaire, particulièrement chez les garçons. J. C., Longueuil, Québec
Il serait à mon sens nettement abusif de la considérer comme un antidote au décrochage, cependant, dans les classes où une pédagogie semblable est utilisée, on perçoit immédiatement une détente et une joie d’être ensemble à faire l’envie de bien des enseignants. Il est également facile d’observer qu’il y a moins de ces problèmes habituels de discipline. Aussi une curiosité et un désir de s’exprimer très nettement supérieur à ce que l’on peut observer ailleurs. Les enseignants, par ailleurs, parlent beaucoup moins spontanément des «cas problèmes» parmi leurs élèves. Non pas qu’ils n’existent pas, mais leurs effets semblent, de façon appréciable, moins alourdir l’atmosphère ou entraver le fonctionnement de la classe. Il y a toujours les quelques dyslexiques, hyperactifs ou les hypo concentrés, mais leurs carences se manifestent de façon plus rare et, surtout, moins aiguës… L’intérêt nettement supérieur des jeunes en est sans doute un grand responsable. Mais la détente et l’attention à chacun, rendues davantage possibles chez les enseignants dans ces circonstances, y contribuent sans doute pour beaucoup. L’un aidant l’autre et réciproquement. Ceci est particulièrement manifeste chez les garçons qui, trop souvent, constituent les plus grands agents de perturbation de la classe. Étant souvent davantage de type «kinesthésiques» que les filles, ils ont besoin de bouger… Mais leur problème, à mon avis, n’est pas tant celui de bouger que celui de se «manifester», de s’affirmer, de prendre part à l’action. Les garçons, dans l’ensemble, acceptent moins bien de jouer «sur le bord de la bande» Même si ce phénomène tient pour une large part à l’éducation, les filles sont souvent plus «dociles» et concè­dent plus volontiers d’être mises «en retrait» de l’action… Or, dans les classes qui fonctionnent dans un esprit d’intervention semblable à celui retenu dans Des sciences à l’école, les élèves des deux sexes étant beaucoup plus engagés «dans l’action», la distinction garçon/fille est beaucoup moins manifeste. Les perturbations indues également nettement moins fréquentes…

© plt

#3 Vous voulez que les élèves apprennent par eux-mêmes, mais que faites-vous de ceux qui ont plus de difficulté ou de ceux de milieux culturellement défavorisés? B. I., Montréal, Québec
Dans leur cas, selon ce qui j’ai pu constater, ce qui peut les aider le plus, c’est l’accueil chaleureux (inconditionnel diraient certains) des autres tout autour; y compris bien sûr l’enseignant… Ils sont d’abord de jeunes personnes en développement, des enfants!, avec des forces qui sont les leurs et non pas seulement des faiblesses. Cet accueil sera d’autant plus facile que l’intérêt général de la classe envers les divers projets possibles est élevé et que certains de ceux-ci arrivent à capter l’intérêt du ou des jeune(s) en question. Par ailleurs, à travailler ensemble au sein d’un groupe qui nous reconnaît, on se rend régulièrement au-delà de ses capacités. J’ajouterai enfin que plus la confiance et la patience de l’enseignant à leur égard sont élevées, plus s’estompent avec le temps les différen­ces individuelles… Et plus chacun apparaît riche et unique.

© plt

#2 Vous suggérer de ne pas répondre aux enfants mais plutôt de leur poser des questions en retour. Comment voulez-vous qu'ils apprennent ce qui est vrai, puisque leurs idées sont généralement naïves et fausses? A.C., Winnipeg, Canada
Entendons-nous, il s’agit là d’un principe général et non d’une recette à appliquer aveuglement en tout temps, tout lieu ou pour toute question. Si, au plan de la formation des jeunes, on a généralement avantage à recourir aux questions-outils lorsque ces derniers nous posent une question qu’on sent significative pour eux, reconnaissons que certaines d’entre elles peuvent ne pas s’y prêter facilement. C’est souvent le cas des questions qui portent sur une convention : comment s’appelle telle chose, s’écrit tel mot ou pourquoi doit-on arrêter au feu rouge? Dans ce cas, hormis l’appel à tous, qui est presque toujours de mise, au cas où quelqu’un aurait une réponse fournissant aux autres élèves la possibilité de discuter sa valeur, il n’y a bien souvent que la ressource externe pour les dépanner : livre, Internet ou l’enseignant lui-même. C’est également le cas lorsque les enfants, devant une question qui renvoie pourtant à une réalité empirique, ne peuvent réaliser eux-mêmes une démarche empirique (une «expérience») pour y répondre : «Quels champignons de notre panier on peut manger?», «Combien chaude est la lave d’un volcan?», «Pourquoi on a besoin d’air pour vivre?», «Pourquoi la Lune est ronde plutôt que carrée?», etc.

Mais dans les cas où l’on juge que la motivation n’est pas menacée ET que l’objet de la question peut être réalisé ou observer directement par nos jeunes dans des délais ou des conditions acceptables — ce qui est le cas beaucoup plus souvent qu’on peut le penser de prime abord… — alors il ne faut pas hésiter à faire appel à de telles questions-outils qui les engagent dans l’action.

© plt

#1 Vous proposez de commencer en maternelle et les exemples que vous donnez apparaissent, il me semble, un peu trop beaux pour être vrais… T. W., Périgueux, France
C’est pourtant ce qui se produit dans certaines classes visitées. J’ai même vu une classe de maternelle 5 ans tout à fait ordinaire (quant à l’origine socio-culturelle des enfants), où, en février, les enfants, le matin de la journée de ma visite, étaient allés à la bibliothèque municipale et, de retour en classe, avaient lu, en s’aidant les uns les autres à recon­naître les mots ou portions de mots qu’ils connaissaient, le message que l’enseignante avait préalablement écrit sur une grande feuille épinglée au tableau. Voir photo ci-dessous (les ajouts, en rouge, ont été faits devant les enfants).

© plt